Décarbonation, IA, bruit, modèle économique... 90 aéroports francophones se réunissent à Toulouse

La 4e édition des Rencontres Francophones des Aéroports se tient à Toulouse, mercredi 22 et jeudi 23 mai 2024, rassemblant plus de 650 participants de 90 aéroports et de nombreux pays francophones. Cet événement est marqué par des discussions sur les enjeux futurs de l’aviation.

Thomas Juin, co-organisateur de l'événement et président de l'UAF (à gauche) et Philippe Crébassa, président du directoire de l'Aéroport Toulouse Blagnac (à droite). (Photo : Dorian Alinaghi - Entreprises Occitanie)

Thomas Juin, co-organisateur de l'événement et président de l'UAF (à gauche) et Philippe Crébassa, président du directoire de l'Aéroport Toulouse Blagnac (à droite). (Photo : Dorian Alinaghi - Entreprises Occitanie)

La 4e édition des Rencontres Francophones des Aéroports se tient à Toulouse, mercredi 22 et jeudi 23 mai 2024, rassemblant plus de 650 participants de 90 aéroports et de nombreux pays francophones. Cet événement, marqué par des discussions sur les enjeux futurs de l’aviation, démontre l’importance croissante de la collaboration internationale et de l’innovation dans le secteur.

Cette édition a débuté au centre de Congrès Pierre Baudis, marquant un jalon significatif pour l’Union des Aéroports Français et Francophones. "C'est un vrai plaisir autant qu'une fierté de recevoir la profession pendant ces deux jours pour travailler ensemble sur nos enjeux d'avenir", a déclaré Thomas Juin, co-organisateur de l'événement et président de l'UAF (Union des aéroports français).

Une participation record

Cette édition se distingue non seulement par son envergure mais aussi par les chiffres impressionnants qui l'accompagnent. Avec plus de 650 inscrits, représentant 90 aéroports directement et une centaine en comptant les groupes comme Vinci, l'événement affiche une participation record. Les participants incluent non seulement des aéroports et leurs partenaires, mais aussi des compagnies aériennes, des assistants en escale, des commerçants, et d'autres acteurs du secteur.

Les participants ne viennent pas seulement de la métropole française, mais aussi de régions d'outre-mer et de divers pays francophones tels que la Belgique, le Canada, la Côte d'Ivoire, le Maroc et la Suisse. "C'est un événement international francophone et international," souligne Thomas Juin, soulignant la portée mondiale de ces rencontres.

Philippe Crébassa, président du directoire de l'Aéroport Toulouse-Blagnac, a souligné l'importance de ces rencontres pour la collaboration entre les aéroports, malgré la compétition inhérente à ce secteur. "C'est un événement international puisque notre organisation est principalement française mais également francophone", ajoutant que la langue française unit les participants dans un domaine où l'anglais domine habituellement.

Dix commissions permanentes

Les participants auront l'occasion d'apprendre les uns des autres à travers des ateliers et des conférences plénières. En parallèle, les 10 commissions permanentes de l'Union, couvrant des sujets variés tels que les techniques opérationnelles, commerciales, le développement immobilier, et les ressources humaines, tiendront leurs réunions.

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Parmi les ateliers les plus attendus figurent ceux sur la décarbonation et l'intelligence artificielle, chacun ayant attiré plus d'une centaine d'inscrits. (Photo : ATB)

L'essor de l'aviation et ses défis modernes

Depuis les années 1990, l'aviation a connu un essor considérable grâce à la libéralisation en Europe. "L'avion a été majeur dans la construction et la cohésion européenne", a rappelé Thomas Juin, soulignant l'importance des transports aériens dans des programmes comme Erasmus. "Une étude récente montre que la nouvelle génération n'a jamais autant voyagé en avion, bien plus que les générations précédentes, ce qui fait de l'aviation un élément indissociable de nos sociétés modernes", poursuit-il.

Cependant, cette expansion s'accompagne de défis environnementaux majeurs. "Nous sommes entrés dans une nouvelle phase où il est crucial de concilier l'usage de l'aviation avec la nécessité de réduire les émissions de carbone", a expliqué Philippe Crébassa. La nouvelle mandature européenne met en avant cette priorité, engageant toute la filière aéronautique à relever ce défi.

Les ateliers de ces rencontres abordent plusieurs leviers pour la décarbonation. Le renouvellement des flottes aériennes est l'un des premiers sujets abordés, car il permet de réduire les émissions de carbone de manière significative. "Équiper un avion de dernière génération permet de réduire les émissions de 15%", a précisé Thomas Juin.

L'enjeu des carburants durables

L'utilisation de carburants durables est un autre axe majeur. "L'aviation ne pourra pas se passer des SAF (Sustainable Aviation Fuels)," a-t-il ajouté, en soulignant l'importance de développer une capacité de production suffisante et des prix accessibles pour ces carburants. Actuellement, ces carburants, tels que les biocarburants issus d'huiles de cuisson usagées, ne représentent qu'une fraction minime, soit 0,1%, de la consommation mondiale de carburant pour avions. Les mandats européens imposent des seuils croissants d'utilisation de carburants durables : 2 % dès l'année prochaine, 6 % en 2030, 20 % en 2035, et 60 % en 2050.

En parallèle, les aéroports doivent anticiper l'avènement potentiel des avions à hydrogène. Le partenariat entre l'aéroport et des acteurs clés de l'industrie, tels qu'Airbus et Universal Hydrogène, souligne l'importance de la collaboration entre le secteur public et privé pour favoriser l'adoption de nouvelles technologies. Cette coopération permet de mobiliser des ressources et des expertises variées, contribuant ainsi à accélérer le développement et le déploiement de solutions hydrogène à grande échelle.

Quel potentiel pour l'hydrogène ?

Par ailleurs, l'hydrogène offre des perspectives prometteuses pour l'aviation, en particulier pour les grands avions commerciaux. Son utilisation comme source d'énergie peut contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à atténuer l'empreinte carbone du secteur aérien. Cependant, sa mise en œuvre nécessite des infrastructures spécifiques et des investissements considérables, ce qui soulève des défis logistiques et financiers à surmonter. Outre l'énergie solaire qui est déjà largement déployée sur les aéroports mais l'adoption à grande échelle de l'hydrogène nécessitera une coordination étroite entre les parties prenantes, ainsi qu'une vision stratégique à long terme pour garantir sa viabilité économique et environnementale. 

Thomas Juin souligne que ces projets nécessitent des investissements considérables, dont les retombées économiques ne sont pas attendues avant une décennie. Airbus, par exemple, vise à faire voler un avion à hydrogène d'ici 2035.

Vers un ciel unique européen ?

Thomas Juin a évoqué une ambition majeure des aéroports pour la prochaine décennie : devenir des hubs énergétiques. "Les aéroports doivent devenir des infrastructures de demain, non seulement pour l'aviation mais aussi pour fournir de l'énergie renouvelable aux territoires environnants". Toulouse n'est pas en reste, se positionnant à l'avant-garde de cette transformation. Un autre facteur clé pour la réduction des émissions est le concept de "ciel unique européen". Actuellement, l'espace aérien européen est fragmenté, ce qui entraîne des inefficacités et des émissions supplémentaires. "Nous demandons un ciel unique européen pour réduire les émissions de 10 %", a déclaré Philippe Crébassa.

Impact mondial du développement aéroportuaire
Alors que l'Europe continue de se remettre des effets de la pandémie, d'autres régions du monde connaissent une croissance rapide du trafic aérien. L'Inde, la Chine, l'Amérique latine et l'Afrique investissent massivement dans l'expansion de leurs infrastructures aéroportuaires pour répondre à la demande croissante de voyages aériens. "Cette tendance reflète la montée en puissance de ces économies et la hausse du niveau de vie dans ces régions, ce qui entraîne une augmentation de la demande de voyages aériens. Les acteurs européens doivent donc tenir compte de cette dynamique mondiale dans leurs stratégies de développement et d'expansion, en explorant de nouvelles opportunités de partenariat et de coopération avec ces régions en croissance", précise Thomas Juin.

Intelligence artificielle et expérience passager

L'intelligence artificielle (IA) est également un thème central de ces rencontres. L'objectif est d'améliorer la qualité de service dans les aéroports français. "Nous avons signé une charte avec l'État et les différents acteurs pour améliorer la qualité de service", a précisé Thomas Juin, en faisant référence à la collaboration entre les multiples parties prenantes, y compris l'État.

La crise du COVID-19 a profondément transformé le paysage du transport aérien. Outre les impacts immédiats sur le trafic, elle a également accéléré des tendances de long terme, telles que la montée en puissance du voyage de loisirs. Les passagers de loisirs, qui voyagent pour rendre visite à leur famille et à leurs amis ou pour découvrir de nouveaux endroits, deviennent une force motrice majeure du trafic aérien. Cette évolution structurelle nécessite une adaptation des aéroports pour répondre aux besoins et aux attentes changeants des voyageurs, notamment en termes de services, de commodités et de durabilité environnementale.

Un domaine clé d'application de l'IA est la biométrie, qui permet d'optimiser le parcours passager et de rendre l'expérience plus fluide. "La biométrie est en plein développement et il est crucial que nous restions dans la course mondiale,", affirme le président de l'UAF. Les passagers internationaux, habitués à des standards élevés, exigent des services de qualité, et les aéroports français doivent répondre à ces attentes.

Le secteur aérien est reconnu comme l'un des plus sécurisés au monde, et cette sécurité repose sur une innovation technologique constante. "Nous sommes un monde extrêmement innovant en termes de technologie", a déclaré Philippe Crébassa. "Intégrer de nouvelles technologies tout en assurant la protection des données est un défi majeur. La protection des données est régie par des normes européennes strictes", a-t-il ajouté.

Quid des financements et du modèle économique ?

Pour concrétiser ces ambitions, les aéroports ont besoin de financements adéquats. "Tout ce que je viens de vous dire demande des capacités financières importantes", a souligné Thomas Juin, appelant à un soutien accru des pouvoirs publics. L'évolution du modèle économique aéroportuaire est essentielle pour soutenir les investissements nécessaires à la transition énergétique et à l'innovation technologique.

Des représentants du secteur aéroportuaire ont souligné l'urgence d'une réforme du modèle économique des aéroports pour les rendre plus attractifs pour les investissements privés. L'accent a été mis sur la nécessité de pratiquer des tarifs compétitifs tout en répondant aux enjeux contemporains. Thomas Juin a également abordé la question de la régulation économique des grands aéroports, soulignant qu'une révision de ce système est nécessaire pour s'adapter aux réalités de chaque plateforme. Il a plaidé en faveur d'une approche plus souple, permettant aux aéroports de mieux répondre aux besoins des compagnies aériennes et des passagers.

Déficit du service public aéroportuaire

Philippe Crébassa a renchéri en soulignant le déficit structurel du service public aéroportuaire, mettant en lumière la nécessité d'une répartition plus équitable des revenus. « A Toulouse, les revenus provenant d'activités non directement liées à l'aéroport contribuent à financer le service public ».

L'initiative de réforme de la régulation aéroportuaire prend forme dans le cadre d'une volonté de mieux adapter les ressources financières aux besoins futurs des aéroports. Cette démarche, lancée fin novembre 2023 lors du congrès de l'Union des Aéroports Français (UAF), par Clément Beaune, alors ministre des Transports, annonce la fin de la caisse unique regroupant tous les revenus des grands aéroports français. Une décision qui vise à mieux canaliser les ressources financières vers des secteurs clés, tels que la modernisation des infrastructures et l'amélioration des services aux passagers.

Cependant, cette réforme ne se fait pas sans inquiétude ni attente. Les aéroports français attendent toujours les détails réglementaires de cette réorganisation financière. Thomas Juin, président de l'UAF, exprime cette attente en soulignant l'importance "de préserver une partie des revenus non aéronautiques pour investir dans des domaines essentiels à l'avenir des plateformes aéroportuaires." Il poursuit :

« Mais le ministre devrait annoncer prochainement un aménagement de caisse, autrement dit une partie des ressources provenant de la caisse non aéronautique sera préservée pour investir dans des domaines qui sont essentiels pour demain comme l'amélioration de la qualité de service au sein des plateformes ».

Préserver la rentabilité

Cette réforme de la régulation aéroportuaire vise ainsi à créer un équilibre entre la nécessité de financer les investissements indispensables à la modernisation et à la décarbonation des infrastructures, tout en préservant la rentabilité des activités commerciales annexes.

En ce qui concerne la fiscalité, l'imposition de nouvelles taxes, telles que la taxe sur les infrastructures de longue distance, pose un défi financier supplémentaire pour les aéroports. Cette taxation accrue réduit leur marge de manœuvre financière pour investir dans des initiatives de transition écologique et d'amélioration des services. Une fiscalité plus adaptée et prévisible est nécessaire pour garantir que les aéroports disposent des ressources nécessaires pour répondre aux défis actuels et futurs de l'industrie aéroportuaire.

Un nouveau phénomène : le bruit...

"En 2020, nous avons eu un record de plaintes concernant le bruit", rapporte Philippe Crébassa. La question du bruit est également un sujet de préoccupation croissante pour les populations avoisinantes des aéroports. Une perception accrue du bruit aérien a conduit à une augmentation des plaintes et des préoccupations concernant les effets sonores des activités aéroportuaires sur la qualité de vie des riverains. Les aéroports doivent donc investir dans des mesures d'atténuation du bruit et des programmes de sensibilisation pour répondre aux préoccupations des communautés locales et minimiser leur impact environnemental.

... et un équilibre complexe à trouver

Thomas Juin met en lumière la complexité de l'équilibre à trouver entre la réduction du bruit aéroportuaire et les activités économiques qu'ils soutiennent. Les progrès technologiques ont indéniablement contribué à réduire le bruit des avions, mais cette avancée seule ne suffit pas à résoudre entièrement la problématique des nuisances sonores. En effet, l'impact socio-économique des aéroports est considérable, générant des emplois directs et indirects, soutenant le tourisme et le commerce, et jouant un rôle crucial dans la connectivité régionale et internationale. Il ajoute :

"Il est important de prendre en compte les besoins et les préoccupations des riverains, tout en reconnaissant que les aéroports sont des moteurs économiques essentiels pour les régions où ils opèrent. Une approche équilibrée qui concilie les impératifs économiques avec la qualité de vie des habitants des zones environnantes est nécessaire."

Philippe Crébassa met en évidence le lien entre le renouvellement des flottes aériennes et la réduction du bruit, soulignant que les compagnies aériennes jouent un rôle clé dans cette dynamique. Cependant, il reconnaît que les investissements nécessaires pour mettre en œuvre ces changements peuvent être significatifs et nécessitent souvent un soutien financier et réglementaire des autorités publiques.

Planifier des mesures à long terme

Enfin, il rappelle l'importance de la planification à long terme et de l'évaluation minutieuse des mesures de réduction du bruit. Il souligne que "les solutions rapides et radicales peuvent parfois entraîner des conséquences imprévues et indésirables, et j'insiste sur la nécessité de trouver un équilibre entre les intérêts concurrents tout en respectant les besoins des différentes parties prenantes."

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