Un rapport pointe des "zones de risques" au Stade Toulousain, malgré une forte hausse de son chiffre d'affaires

Le Stade Toulousain, présidé par Didier Lacroix, a vu son chiffre d'affaires augmenter de 42% entre 2018 et 2022. En 2023, il s'est établi à plus de 47 millions d'euros. (Photo : Dorian Alinaghi - Entreprises Occitanie)

Le Stade Toulousain, présidé par Didier Lacroix, a vu son chiffre d'affaires augmenter de 42% entre 2018 et 2022. En 2023, il s'est établi à plus de 47 millions d'euros. (Photo : Dorian Alinaghi - Entreprises Occitanie)

Le Stade Toulousain, fondé en 1907, est un pilier du rugby français. À la date du contrôle mené par la Chambre régionale des comptes d'Occitanie, en 2023, le club avait remporté 22 titres de champion de France et cinq coupes d'Europe. Depuis, il a ajouté à son palmarès un 23e titre national et une 6e Coupe d'Europe, consolidant ainsi sa position de club le plus titré dans ces compétitions.

Des relations financières étroites entre les entités

Le groupement sportif du Stade Toulousain se compose de plusieurs entités distinctes mais interconnectées : l'association Stade Toulousain Rugby, le centre de formation, l'association des Amis du Stade Toulousain, et le club professionnel Stade Toulousain. Le rapport de la chambre régionale des comptes a souligné les interdépendances significatives entre ces entités.

Le club professionnel, structuré en société anonyme sportive, est le principal moteur du développement du rugby de haut niveau. En parallèle, l'association Stade Toulousain Rugby se concentre sur le développement du sport amateur. Fait rare, l'association Les Amis du Stade Toulousain est propriétaire du stade Ernest Wallon, un cas unique car ces installations sont généralement la propriété des collectivités publiques.

Un "modèle toulousain spécifique"

Les deux associations détiennent ensemble plus des deux tiers du capital social de la société sportive, préservant ainsi la majorité du capital grâce à une clause de sauvegarde. Cette structure assure un contrôle majoritaire par les entités non-professionnelles, garantissant une orientation équilibrée entre sport amateur et professionnel. "L’association sportive détient actuellement 44 % du capital social du club professionnel, et l’association des Amis en détient 23 %. Des actionnaires privés comme la société Fiducial Médias (11 %) ont pris des parts depuis 2014. 

Le capital social du club professionnel reste donc majoritairement détenu par les deux associations, ce qui est une spécificité du modèle toulousain. A titre de comparaison, pour 12 autres clubs de l’élite professionnelle nationale, le Top 14, l’association dédiée aux sportifs amateurs détient moins du tiers du capital social de la société sportive", précise la Chambre régioanle des comptes d'Occitanie.

L'entreprise valorisée à 40 millions d'euros

Sur le plan du capital social, le rapport détaille son évolution entre 2017 et 2022 :

"En 2017 et 2019, le capital social a été augmenté de 10 %, et les primes d’émission ont presque doublé, ce qui a permis de maintenir des capitaux propres quasi stables, malgré le résultat déficitaire important de l’exercice 2018. La valeur nominale de l’action a fortement augmenté : initialement émise à 15,2 euros elle s’élève à 338 euros en 2023 (prime d’émission incluse). Dans la perspective d’augmentations de capital ultérieures, une étude a été commandée à un cabinet conseil sur l’analyse de la valeur des fonds propres du Stade Toulousain. Ce dernier, qui a fait usage de méthodes comparatives, a estimé la valeur de l’entreprise à 40 millions d'euros, dont les deux tiers proviendraient de la valeur commerciale de la marque. Le club professionnel ne disposant pas de réserve excédentaire, l’augmentation de ses capitaux propres – via le capital social et les primes d’émissions – apparaît comme l’unique modalité de consolidation des fonds propres. En raison des règles spécifiques imposées par la Ligue Nationale du Rugby, un niveau de capitaux propres suffisant est indispensable à la société pour conserver sa marge d’action, notamment pour gérer l’évolution de la masse salariale des joueurs."

Soutien financier et partage des ressources

Le club professionnel apporte un soutien financier substantiel à l'association Stade Toulousain Rugby. En 2022, ce soutien s'est chiffré à 820 000 euros sous forme de subventions, selon le rapport. Cette somme couvre notamment les installations et les équipements utilisés par l'association, et inclut une subvention d'équilibre annuelle pour compenser les déficits éventuels. Ce soutien financier est crucial pour la survie et le développement des activités amateurs du Stade Toulousain.

Les subventions versées par les collectivités publiques à l'association des Amis, qui se sont élevées à 24,3 millions d'euros en 2022 (dont 13,8 millions d'euros par la ville de Toulouse), bénéficient indirectement à l'ensemble du groupement sportif. Ces fonds permettent de maintenir et d'améliorer les infrastructures utilisées par toutes les entités du Stade Toulousain, créant ainsi un environnement propice à la performance sportive.

Une dépendance marquée aux résultats sportifs

Le modèle économique du Stade Toulousain repose fortement sur les résultats sportifs. Les succès du club professionnel ont permis "une augmentation significative du chiffre d'affaires", indique la Chambre régionale. Ce chiffre a bondi de 58 % entre 2018 et 2022, atteignant 42 millions d'euros. Cette croissance est toutefois fragile, car elle dépend des performances sur le terrain, le club recevant peu de subventions publiques en dehors des périodes de crise sanitaire.

Pour garantir la stabilité financière, plusieurs augmentations de capital de la société professionnelle sont prévues. Ces mesures visent à assurer la pérennité financière de l'association sportive et du centre de formation, indépendamment des résultats sportifs. Cette approche proactive est essentielle pour maintenir la robustesse financière du club à long terme. En 2023, le Stade Toulousain (qui compte 137 salariés) a réalisé un chiffre d'affaires d'un peu plus de 47 millions d'euros, comme le club l'a indiqué à Entreprises Occitanie.

Zones de risques et recommandations

Malgré les succès sportifs et financiers, la chambre régionale des comptes a identifié plusieurs "zones de risques". Une des principales préoccupations concerne la convention de « prêt à usage » pour l'utilisation du stade Ernest Wallon, conclue entre l'association des Amis et le club professionnel. Cette convention pourrait être requalifiée en contrat de location, ce qui impliquerait des modifications juridiques et financières substantielles. Si le Stade Toulousain reconnaît que cette convetion de prêt à usage "n'est plus adaptée", il n'en reconnaît pas le caractère "non conforme".

Par ailleurs, certains travaux effectués par le club professionnel sont toujours inscrits à l'actif du club, alors qu'ils devraient être intégrés au patrimoine de l'association des Amis une fois achevés. Cette situation nécessite une correction pour aligner les pratiques comptables avec la réalité des opérations.

Pour la Chambre régionale des comptes, "l'association des Amis du Stade Toulousain n'a pas respecté le code des marchés publics lors de la récente rénovation du stade Ernest Wallon". Cette infraction pose des risques juridiques et pourrait entraîner des sanctions ou des révisions des processus de financement futurs.

Une alerte sur les "conflits d'intérêts"

Autre risque pointé du doigt dans le rapport : celui des "conflits d'intérêts. Ces dépendances croisées, si elles permettent de faciliter certains processus de décision d’intérêt commun, présentent toutefois des facteurs de risques, en raison des responsabilités exercées par deux dirigeants dans des activités commerciales privées liées au groupement sportif", alerte le gendarme financier de la région. 

"Didier Lacroix, président du club professionnel, et Franck Belot, président de l’association « Les amis du Stade Toulousain », sont par ailleurs gérants et/ou associés dans plusieurs sociétés prestataires du groupement. Ils sont associés dans la société « Old Ink », et également actionnaires dans les sociétés « A la Une » (spécialisée dans l’événementiel et la publicité) et « A vos marques » (société de conception, réalisation et commercialisation d'éléments de décoration et de marquages artistiques ou de signalisations à vocation publicitaire - agent commercial). Franck Belot est par ailleurs directeur commercial pour Infront, société de droit Suisse spécialisée dans le marketing sportif et l’organisation d’événements et de manifestations sportives, et principal partenaire financier du club professionnel".

Un comité d'éthique pour 2024

Dans son courrier de réponse à la Chambre, Didier Lacroix répond point par point à cette mise en garde : "La prévention des conflits d'intérêts fait bien évidemment l'objet d'une attention particulière. Il s'agit d'une thématique sur laquelle le groupement sportif du Stade Toulousain exerce une vigilance quotidienne. C'est dans cet esprit que le Stade Toulousain se dotera en 2024 d'un comité d'éthique, dont les membres seront désignés par les entités du groupe sportif Stade Toulousain".

La marque au centre des attentions

Un autre point sensible concerne l'utilisation de la marque « Stade Toulousain Rugby », propriété de l'association mais couramment utilisée par le club professionnel. "Cette situation a des implications fiscales qui ne sont pas actuellement appliquées", nécessitant une clarification pour éviter des complications fiscales à l'avenir.

Le club aux 23 Boucliers de Brennus répond :

"Les marques de l’association et de la SASP ne sont bien évidemment pas concurrentes car elles appartiennent au même groupement sportif et poursuivant le même objectif : le déploiement de l’image du club. La SASP a simplement souhaité ajuter la protection des signes distinctifs du club et se conformer aux exigences du droit des marques".

Face à une potentielle évasion fiscale évoquée dans le rapport, le Stade Toulousain juge que cette subvention bénéficie d'une "régularité fiscale, au regard notamment de sa justification opérationnelle et de son historique".

Enfin, la Chambre pointe une autre piste d'amélioration : "Les relations financières entre les différentes entités devraient être mieux formalisées pour garantir une transparence accrue".

(avec Anthony Assémat)

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