Mardi 28 mai 2024, le Medef 31 et le Club d'Entreprises Réussir organisaient une conférence sur la CSRD, un rapport de durabilité qui va impacter le quotidien des entreprises sur leurs pratiques RSE. Décryptage.
Valérie Jimenez, présidente déléguée du Medef de Haute-Garonne (à gauche), a évoqué la gestion de la RSE et des questions environnementales dans son entreprise de transport. (Photo : Anthony Assémat - Entreprises Occitanie)
A moins de 15 jours des élections européennes, le sujet des normes n'accapare pas l'espace public mais préoccupe réellement les chefs d'entreprise, les agriculteurs et tous les entrepreneurs. 2024 symbolise l'année de la transposition en France d'une directive européenne majeure pour le quotidien des entreprises : la CSRD, pour Corporate sustainability reporting directive, qui va remplacer l'actuelle Déclaration de performance extra-financière des grandes entreprises (DPEF) en imposant des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) plus drastiques. "Il faut saisir l'enjeu sur ce qui est en train de se passer. Les entreprises qui s'y préparent aujourd'hui auront un coup d'avance demain", explique Rémi Postic, fondateur de la société Verae Consulting, à Toulouse, spécialisée dans la transformation RSE.
C'est quoi, la finance durable ?
C'est pour faire cette action de pédagogie et expliquer en détail la révolution que va engendrer cette CSRD que le Medef de Haute-Garonne et le Club d'Entreprises Réussir ont organisé, mardi 28 mai 2024 à l'hôtel Inn by Marriott de Blagnac (Haute-Garonne), une conférence sur la finance durable afin d'appréhender au mieux les enjeux de cette norme. Mais au fait, c'est quoi, la finance durable ? "Cela vient de Sustainable en anglais : cela favorise l'atteinte des objectifs de développement durable de l'entreprise selon les accords de Paris de 2015. Pour rappel, l'objectif de la France est une diminution des gaz à effet de serre de 40% d'ici 2030 et la neutralité carbone en 2050", a expliqué Gérard Désarmaux, directeur des services économiques de la Banque de France, indiquant que la France devra doubler ses investissements dans la transition énergétiques dans les six prochaines, soit une somme de 65 milliards d'euros.
"Un nouvel outil d'opportunité"
Selon lui, la tactique de l'autruche est clairement une impasse pour les entreprises :
"Aucune entreprise ne peut ignorer la transition climatique. Le coût de l'inaction sera supérieur au coût de l'adaptation. Et un chef d'entreprise qui ignore le changement climatique peut aussi inquiéter ses actionnaires..."
Pour Laure Mulin, présidente de la Chambre régionale des commissaires aux comptes (CRCC), la CSRD apporte "un vrai cadre avec de nouvelles normes. Il ne faut pas la voir comme une nouvelle contrainte mais comme un nouvel outil d'opportunité pour s'améliorer et mesurer sa performance. Et le rôle de la gouvernance des entreprises sera renforcé". Les commissaires aux comptes sont en première ligne puisque ce nouveau reporting de durabilité s'effectuera en présence d'un auditeur légal.
La CSRD - forte de "89 thèmes et sous-thèmes", dixit Laure Mulin - prévoit un principe de double matérialité, renforce, donc, la gouvernance, élargit le périmètre de reporting à l'ensemble de la chaîne de valeurs (les sous-traitants, les filiales...), est en lien avec le reporting financier et s'inclut dans le rapport de gestion. "Toutes les entreprises sont concernées et les grandes entreprises vont désormais s'intéresser à la chaîne amont et aval", précise Laure Mulin.
Un meilleur accès aux crédits
Agir dans la finance durable et respecter ces nouvelles normes auront des répercussions à tous les niveaux. Les explications avec Xavier Affre, directeur green, prospective et partenariats BDR chez Caisse d'Epargne Midi-Pyrénées :
"Demain, les entreprises vertueuses auront un meilleur accès aux crédits et dans des conditions plus avantageuses. Les acteurs du financement vont prendre en compte ces informations. Nous passons d'une valorisation purement financière à d'autres critères. Et je rassure les entrepreneurs : nous, les banques, sommes dans le même bateau que vous !"
Un indicateur climat à la Banque de France
D'ici 2027, la Banque de France va mettre en place un indicateur climat pour apprécier la politique environnementale des entreprises. "C'est gratuit et en parallèle de la cotation financière. En 2024, 2000 entreprises seront interrogées et nous avons un objectif de 20 000 pour 2027. Nous sommes la première Banque centrale en Europe à déployer cette initiative", relaie Gérard Désarmaux.
Plusieurs entreprises ont témoigné de leurs actions RSE au quotidien. Valérie Jimenez, patronne du Groupe Jimenez (630 salariés et plus de 75 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2022), a notamment expliqué sa politique environnementale quand on est un transporteur routier.
"Sur ces sujets, nous sommes précurseurs dans le transport, là où nous sommes considérés comme des pollueurs. On se lève chaque matin pour être utile et nous avons un service QSSE (Qualité, santé-sécurité, environnement, ndlr) au sein de l'entreprise. De plus, nous avons 54% de femmes au sein de tous nos métiers".
A Toulouse, Romain Parouti est le dirigeant de Verteus, qui accompagne les entreprises dans une gestion plus durable, notamment pour sa partie impression de papier, dématérialisation et télécom. A l'occasion de la conférence sur la finance durable, il a asséné un conseil tout simple aux entreprises : "Achetez votre photocopieur ! Vous ferez des économies et un geste pour la planète" !". Il a expliqué les enjeux de la réduction de l'impression de papiers dans les boîtes. "Une ramette de papier, c'est l'utilisation d'au moins 625 litres d'eau, et une page couleur coûte par exemple plus cher qu'une page noire.
Il indique que 3% des impressions sont faites via des feuilles A3 et que 25% des documents imprimés sont jetés dans les cinq minutes. "C'est 45% de documents jetés dans les 24h", poursuit Romain Parouti.
Pour lui, si la digitalisation et les data center sont évidemment émetteurs de CO2, il n'y a rien de comparable avec le papier. "Le papier pollue six fois plus que le document électronique", conclut le chef d'entreprise de la Ville rose.
"Un cheminement de plusieurs années"
François Mouchonnier est le directeur administratif et financier du Groupe Parera, basé à l'Isle-Jourdain (Gers). Avec 1200 salariés (dont 400 à l'étranger), le rapport de durabilité et la gestion de la politique RSE sont considérables. Et pourtant... "Sur le sujet, les deux freins sont le coût et le temps. Mais malgré les craintes, on peut faire à l'inverse des gains de productivité !", explique-t-il. L'entreprise est en chemin vers le zéro papier et scrute de près son TCO automobile, soit tous les frais liés au parc de voitures professionnel. Mais il le reconnaît : la politique environnementale d'une entreprise prend beaucoup de temps. "C'est un cheminement de plusieurs années : le diagnostic nous a pris entre 12 et 18 mois de travail ! On revoit la logique de nos déplacements, on interroge nos prestataires et nos sous-traitants. Il faut une direction d'entreprise qui impulse le mouvement et se fasse accompagner. Bpifrance peut par exemple en financer une partie".
Pour Rémi Postic, cette CSRD doit être vue comme une chance, une opportunité pour ancrer durablement de bonnes habitudes au sein des entreprises. "Elle est un véritable "game changer" ! Le fond scientifique est là, et la société doit changer à partir de cette base. En 2023, 7 limites planétaires sur 9 sont dépassées. Dans le monde, les émissions de CO2 n'arrêtent pas de croître. Il faut faire en sorte que les entreprises se saisissent de ces sujets ", conclut-il.