Mathieu Roudié est le nouveau président de la Fédération du BTP de la Haute-Garonne. Il évoque les enjeux de la filière dans le département, la crise actuelle du secteur et les solutions pour redonner du souffle aux entreprises.
Elu le 19 juin 2024 à la tête de la Fédération du BTP de Haute-Garonne, Mathieu Roudié succède à ce poste à Emile Noyer. (Photo : FBTP 31)
Une nouvelle ère pour la Fédération du BTP de Haute-Garonne. Mercredi 19 juin 2024, lors de l'Assemblée générale de la branche, Mathieu Roudié a été élu pour un mandat de trois ans et succède à Emile Noyer, le président de la Cité Jardins.
Mathieu Roudié, 47 ans, est à la tête du groupe toulousain Roudié Miner (180 salariés et 40 millions d'euros de chiffre d'affaires). Engagé depuis plusieurs années au sein de la fédération haut-garonnaise, il évoque, pour Entreprises Occitanie, sa feuille de route dans une instance qui représente 975 entreprises adhérentes et 18 500 salariés.
"Mon projet ? Revenir sur les fondamentaux"
Entreprises Occitanie. Que représente actuellement la Fédération du BTP de Haute-Garonne ?
Mathieu Roudié. Nous fédérons 975 entreprises adhérentes (qui réalisent 70% du chiffre d'affaires) pour 18 500 salariés, soit la moitié des salariés du secteur de la Haute-Garonne. La filière réalise entre 6 et 7% du PIB du département et a réalisé un chiffre d'affaires total de 3,9 milliards d'euros en 2023 : 2,7 milliards d'euros le bâtiment, et 1,2 milliard d'euros pour le TP. Enfin, la Fédération est représentée dans plus de 100 mandats, avec notamment les vice-présidences au Medef 31, à la CPME 31 et à la Chambre de commerce de Toulouse.
EO. Vous avez été élu pour un mandat de trois ans. Quelle est votre feuille de route pour la Haute-Garonne ?
MR. Je veux d'abord répondre aux préoccupations quotidiennes de nos adhérents. J'ai défini sept priorités : informer et accompagner les adhérents dans leur quotidien, défendre la trésorerie des entreprises, améliorer les conditions d'exécution des chantiers, faciliter l'accès aux marchés pour les entreprises locales, accompagner les évolutions de la profession, promouvoir l'attractivité des métiers et faciliter les recrutements, et lutter contre la concurrence déloyale.
"Mon projet et celui de mon équipe, c'est de revenir sur les fondamentaux, avec un focus sur le CA, la trésorerie et l'exploitation de nos entreprises, car les problèmes de recouvrement sont majeurs. Il faut être à leurs côtés pour indiquer les bons marchés comme autant de relais de croissance, former les équipes, évoluer, innover... On réfléchit au bâtiment de demain mais les adhérents attendent des choses concrètes et pragmatiques".
EO. Quelle est la répartition de l'activité ?
MR. Le marché du neuf représente 44% de l'activité, avec 30% pour le logement et 14% hors logement. Le marché de l'entretien-rénovation, lui, représente 56%, avec 37% dédiée à la rénovation et 19% à la rénovation énergétique, un secteur pour lequel nous avons créé une commission spécifique.
Le marché de la rénovation est potentiellement un vrai relais de croissance, avec un marché national de 450 milliards d'euros. Mais il n'est pas encore au rendez-vous car il y a de l'atermoiement de la part de l'Etat sur les dispositifs, les règles du jeu changent tout le temps. Par exemple, en Haute-Garonne, il y a 11 000 logements en classe énergétique G à rénover mais les délais ne seront pas tenus.
"Le logement est un besoin prioritaire"
EO. Les secteurs du BTP et du logement traversent une importante crise ces derniers mois : quel message avez-vous à faire passer au futur gouvernement ?
MR. Nous avons fait 10 recommandations au niveau national avant les élections législatives (lire encadré ci-dessous) et pour la première fois depuis 1958, un gouvernement va devoir voter des lois de consensus. Nous espérons que le logement fera partie de ces lois de consensus. Le logement est un besoin prioritaire et nous avons eu raison trop tôt depuis trois ans que nous mettons en avant les difficultés. Le dispositif Pinel a été coupé et le gouvernement n'a pas jugé bon de réfléchir à un nouveau modèle économique...
L'ancien Premier ministre Edouard Philippe parlait de "bombe sociale majeure" : il faut construire 520 000 logements par an en France selon l'Union sociale pour l'habitat (USH). Or, on n'a produit que 250 000 logements neufs en 2023, soit le chiffre le plus bas depuis 2008.
"A l'époque, nous avions mis huit ans à retrouver le niveau d'avant-crise et nous avions perdu 6000 emplois. L'histoire bégaye, ça ne va pas bien se passer pour le logement neuf".
En Haute-Garonne, nous avons construit 6800 logements neufs en 2022 et 5500 en 2023 alors que le besoin est de 9000 logements par an. Il faut densifier, nous n'avons pas le choix !
Le parcours résidentiel est également cassé, 54 000 dossiers sont en attente dans le logement social en Haute-Garonne. Il n'y a pas de turn-over, et ce n'est pas favorable pour la rénovation.
Toutes ces difficultés, c'est du perdant-perdant pour l'Etat, qui a perdu des recettes. Et cela a provoqué des effets en cascade sur le PIB et sur les finances des Départements avec la baisse des droits de mutation. Nous sommes très inquiets sur la relation emploi/logement.
Lors des élections législatives 2024, la Fédération française du bâtiment (FFB) avait concocté un "Pacte constructif" à destination des candidats. Alors que la politique s'est mise en pause à l'occasion des Jeux olympiques de Paris 2024, petit rappel des 10 propositions que la branche avait formulées pour sortir la filière de la crise. Des propositions que la FFB ne manquera pas de marteler lors d'une rentrée qui s'annonce chaude...
- Rétablissement d'un Prêt à taux zéro (PTZ) universel dans tous les territoires et pour tous types de logements
- Arrêt de la surenchère réglementaire
- Adaptation de l'objectif ZAN aux réalités des territoires
- Limitation de la sous-traitance en cascade
- Rétablissement d'un dispositif de soutien à l'investissement locatif
- Révision du dispositif REP
- Stabilisation de MaPrimeRenov
- Rétablissement d'un dispositif de soutien à l'apprentissage
- Révision du montant de la franchise de la TVA
- Maintien de l'équilibre du dialogue social
EO. Malgré cette crise conjoncturelle qui dure, il y a de l'espoir dans la métropole toulousaine avec de nombreux grands projets...
MR. Oui bien sûr. Il y a la 3e ligne de métro, la LGV Bordeaux-Toulouse, l'A69 Castres-Toulouse, l'aéroport Toulouse-Blagnac, les chantiers au CHU de Toulouse, la ZAC Enova de Labège, les Portes du Tarn, les groupes scolaires, les nouveaux collèges... On peut citer également le renouvellement urbain, le Grand Matabiau avec 3000 logements et 200 000 m2 de plus d'ici 2028... C'est une bonne bouffée d'oxygène, Toulouse est un territoire dynamique économiquement et démographiquement, mais il souffre d'une pathologie nationale.
EO. Comment la filière travaille-t-elle sur l'attractivité des métiers, notamment auprès des jeunes ?
MR. L'ensemble de la filière recrute mais on continue à être en tension. L'attractivité est un sujet endémique chez nous, et ce depuis des années. Avec Time to Build, nous avons l'une des commissions les plus structurées mais la tension sur le recrutement gène la croissance des boîtes. Pour être attractif, nous nous déplaçons dans les collèges, les lycées, nous investissons les réseaux sociaux... Nous allons là où sont les jeunes, nous nous sommes mis à la page pour les faire venir.
"Nous luttons également contre les mauvaises pratiques avec notre charte Ethibat RSE, en rencontrant les maîtres d'ouvrages. Il faut chasser de la profession ceux qui sont hors-la-loi et défendre les entreprises qui la respectent".
EO. De quelle façon appréhendez-vous les grands enjeux autour de l'IA et du numérique ?
MR. C'est à la fois préoccupant et motivant ! Notre filière se digitalise et se numérise, et nous avons fait entrer la robotique avec l'IA. Cette quatrième révolution industrielle, il faut la comprendre et l'environner. Cela peut avoir des effets bénéfiques sur la répétition des tâches et la pénibilité, par exemple. Comme dans les autres secteurs, il faut faire de la crainte une opportunité.
- Le BTP emploie près de 1,4 million de personnes : 78% des salariés sont dans le bâtiment et 22% dans les travaux publics. C'est le premier employeur de France
- La France compte plus de 514 000 entreprises dans la filière, pour un chiffre d'affaires total de 300 milliards d'euros (chiffres 2021)
- En Haute-Garonne, le BTP génère un chiffre d'affaires de 3,9 milliards d'euros (chiffres 2022), soit 34% du CA de l'Occitanie dans ce secteur
- Fin 2023, on comptait, en Haute-Garonne, 37 361 salariés dans le BTP, auxquels s'ajoutent 5252 intérimaires
- En 2024, les projets de recrutement dans la filière de la construction étaient au nombre de 5230